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Échange avec Jeff Legrand des éditions FamiliaR

Avec FamiliaR, Jeff Legrand est parvenu à fonder une maison d’édition BD indépendante, qui place les relations humaines au cœur de ses récits. Du premier album De cuir et d’acier au bouleversant Déraciner, l’éditeur cherche à publier des œuvres engagées, émotionnelles et accessibles au grand public.


Pouvez-vous vous présenter et nous raconter la genèse de FamiliaR ?

Oui, bien sûr. Mon parcours, je vais le faire simple : je viens du monde commercial, j’ai longtemps travaillé dans la publicité et les médias. Il y a 14 ans, j’ai quitté le salariat pour me consacrer à l’écriture, avec l’envie de devenir scénariste BD.

J’ai appris le métier via des masterclass, des ateliers, beaucoup de lectures et de recherches personnelles. J’ai réussi à publier quelques BD, mais il y a deux ans, plusieurs projets prometteurs ont capoté presque en même temps. L’un a été abandonné par le dessinateur, un autre avec un gros éditeur de Webtoon n’a pas abouti malgré un long travail. C’est un métier difficile. Même avec de l’expérience, vendre ses histoires, convaincre un éditeur, et aller jusqu’au bout, ce n’est jamais simple.

C’est ce constat qui a mené à la création de FamiliaR. L’idée, c’était d’éviter à d’autres les galères que j’avais connues. Au départ, c’était surtout pour faire émerger de nouveaux talents. Et puis on s’est dit : si on travaille bien, dans de bonnes conditions, des auteurs plus confirmés pourraient aussi nous rejoindre.

Portrait de l'éditeur Jeff Legrand

Portrait de l'éditeur Jeff Legrand
© Guillaume Berthier

Et le nom “FamiliaR” reflète cet esprit collectif ?

Complètement. Il y a plusieurs raisons derrière ce nom. D’abord, on est un groupe d’amis très soudés. Pour nous, la Familia, c’est la famille de cœur. Et puis il y a le clin d’œil au “familier” – comme les petits compagnons dans Harry Potter, ou dans l’histoire française, ceux qui pouvaient dîner à la table du roi sans être de sang royal. Enfin, on a voulu mettre en avant le “R” final en hommage à un ami, Raphaël, un membre fondateur qu’on a perdu. C’est pour lui que notre logo met en valeur cette lettre.

Combien étiez-vous à la création du projet ?

On était 17 au départ. La plupart ne venaient pas du monde de la BD. Moi, j’étais scénariste, un des associés est dessinateur, un autre est galeriste spécialisé BD. Le reste vient de l’univers de la communication, de la musique, etc. On a tous mis un peu d’argent pour financer les premiers livres, et on a appris le métier ensemble, en avançant.

Qu’est-ce que ça fait de passer du rôle d’auteur à celui d’éditeur ?

C’est un prolongement assez naturel pour moi. Mes premières BD ont été publiées chez un petit éditeur qui ne connaissait pas la BD, donc j’ai dû mettre les mains dans le cambouis : maquette, chemin de fer, titres, quatrièmes de couverture... J’ai aussi travaillé sur des BD en crowdfunding, ce qui m’a donné une vision assez complète de la chaîne éditoriale. Donc je n’ai pas découvert l’édition en créant FamiliaR, mais j’en ai surtout découvert la difficulté.

Le fait d’être en collectif aide-t-il à surmonter ces difficultés ?

Clairement. Monter une maison seule, c’est presque impossible, surtout quand on vise la BD grand public comme nous. On a la chance d’être épaulés par un diffuseur-distributeur, mais créer un livre, le produire, le promouvoir, gérer la relation avec les auteurs, la fabrication, le marketing, l’administratif... c’est énorme. Heureusement, on est très investis au quotidien.

Quelle est votre ligne éditoriale ?

Elle tourne autour d’un axe fort : les liens humains et leurs conséquences. Comment une rencontre, une relation – familiale, amicale, professionnelle – peut transformer une vie ou impacter la société. C’est ce fil conducteur qu’on retrouve dans nos histoires. On veut de l’émotion, des personnages qui évoluent, des récits qui font réfléchir sans être moralisateurs.

Pouvez-vous nous parler un peu de votre première parution, " De cuir et d’acier " ?

C’est une fiction historique sur la naissance du football professionnel, centrée autour du FC Sochaux. L’histoire mêle un jeune couple, un ouvrier passionné de foot, et le contexte de l’époque : l’usine Peugeot, la semaine anglaise, la montée des syndicats… et le sport comme outil de cohésion sociale. Le club de Sochaux, fondé par l’industriel Jean-Pierre Peugeot, a joué un rôle clé dans la professionnalisation du foot en France. On suit tout ça sur 4 ans, avec un vrai ancrage documentaire. Le dossier historique en fin d’album permet de compléter le récit.

Couverture de l'album

Couverture de l'album " De cuir et d'acier "
© FamiliaR, 2025 - Legrand et Champin

Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire ?

Deux déclencheurs : d’abord la série The English Game sur Netflix, qui raconte la naissance du foot pro en Angleterre. Ensuite, l’histoire personnelle : je suis supporter de Sochaux, mon père était abonné au club. J’ai grandi avec ça. Et quand le club a failli disparaître il y a deux ans, une association de soutien s’est créée. J’ai proposé cette BD dans ce cadre-là. Les adhérents ont voté pour, et on a lancé le projet. Ça a pris environ un an et demi entre l’idée et l’impression.

Comment s’est passée la collaboration avec le dessinateur Geoffrey ?

On se connaît depuis plus de 10 ans. On a déjà fait une BD en auto-édition, un webtoon chez Dupuis. C’est très fluide entre nous. Il comprend mes intentions, je sais comment lui parler des scènes. Il a de l’expérience, ce qui a aussi sécurisé ce premier album.

Et les prochaines sorties ?

Notre deuxième album, Déraciné, est sorti en août. Il raconte l’histoire vraie d’un tirailleur sénégalais pendant la Première Guerre mondiale, seul soldat du camp du Courneau à avoir tenté de fuir. C’est en noir et blanc, très graphique, quasi muet, avec un dossier historique à la fin. Un projet fort porté par Thibault Rougès, 51 ans, qui réalise ici son rêve d’enfant.

Le troisième album est prévu pour janvier 2026. Ce sera un western social, très sombre, autour de la fin des cowboys, de l’arrivée du chemin de fer, de l’effacement des peuples natifs. Un récit dur, anticolonialiste, porté par un jeune auteur bordelais qu’on accompagne depuis plus d’un an.

Couverture de l'album

Couverture de l'album " Déraciné "
© FamiliaR, 2025 - Thibault Rougès

Comment choisissez-vous les projets ?

On ne reçoit pas beaucoup de dossiers, volontairement. On préfère aller chercher les talents ou travailler à la demande. Ce qu’on regarde d’abord, c’est l’histoire et les personnages. Il faut que ça colle à notre ligne : des récits humains, avec de vrais enjeux relationnels. Peu importe le style graphique, on est très ouverts, mais sans ça, c’est difficile pour nous de défendre un projet.

Et comment vous voyez l’avenir de FamiliaR ?

On espère continuer à faire des BD qui font réfléchir, qui touchent les lecteurs. Pas pour faire la morale, mais pour poser des questions. Pour raconter le monde à travers des destins humains. Si on arrive à faire ça, à notre rythme, ce sera déjà très bien.

EditeurEté2025

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